Fibro quoi?
Chronique publiée par le Bulletin d'Aylmer le 27 novembre 2013
« Ah, va donc chez l’bonhomme! » Voilà bien ce qu’on a envie de dire à quiconque ‘ose’ poser/afficher des doutes sur cet état, ‘ose’ poser son propre diagnostic quant aux causes, ‘ose’ … Ah les mosusses de ‘Joe Connaissant’! Non seulement fatigants ces gens, mais plus encore ils sont profondément décevants; on n’a vraiment pas besoin de ça quand on a mal absolument partout. Tu en connais quelqu’un qui souffre de fibromyalgie?
Faut le vivre pour le croire, faut le vivre au quotidien pour le comprendre. Il en est sûrement plus d’une (je vais parler au féminin, parce que la majorité des gens qui en sont affligé(e)s sont des femmes; alors, pour une fois, le féminin l’emporte!) qui auraient préféré recevoir un tout autre diagnostic, celui d’une maladie plus acceptée par l’entourage (diabète, maladie cardiovasculaire, etc.). Une mal-a-dit que la société accepte. Fibromyalgie… pas de prise de sang ou autre test genre scan qui peut prouver que, bingo, c’est ça! Fibromyalgie… douleur comme ça s’peut pas, j’en sais quelque chose; heureusement, il ne m’en reste que des souvenirs. Mal absolument partout, fatigue chronique en plus (soit primaire, soit secondaire, mais bel et bien présente). Douleur 24 sur 24, souvent comme si un tracteur t’était passé dessus, pas de médicaments qui l’atténuent pour la peine. S’ajoute souvent une douleur non négligeable, celle de l’incompréhension de l’entourage, de ses proches – celle-là, elle fait mal, et pour celle-là, il n’y a définitivement pas de pilule.
J’ai rencontré par hasard l’été dernier un consultant en réadaptation pour la CSST dans un café alors que j’écrivais dans mon cahier. Il m’a demandé sur quoi j’écrivais. Quand je lui ai répondu « sur la fibromyalgie », il a tout de suite lancé « Ah, la maladie des femmes! C’est tout-te dans leur tête! (avec le geste) ». Voilà qu’en 2013 on en est encore là. L’être humain a peur de l’inconnu – je ne comprends pas, donc je rejette.
Comme je le disais, il faut le vivre pour le comprendre : rendez-vous sur rendez-vous chez un médecin, puis un autre et encore un autre, toujours dans l’espoir qu’on va nous trouver une petite tumeur quelque part, qu’on pourra l’enlever puis reprendre sa vie, ses projets, ses activités. Rien. Au bout du compte, après avoir écarté la tumeur, la sclérose en plaques, le lupus, etc. on finit par nous poser l’étiquette ‘fibromyalgie’ (de "fibro", tissus fibreux... tendons, ligaments, "my[o]", muscle, "algie", douleur), basé sur le fait qu’on ne trouve rien d’autre et qu’on a une sensibilité excessive à 11 points spécifiques sur 18. Je simplifie un peu, mais c’est à peu près ça. Sur le coup, c’est un soulagement de recevoir un diagnostic … jusqu’à ce qu’on se rende compte de la galère qui s’en suit. Bataille avec les assurances, incompréhension de l’entourage – c’est un bobo plutôt invisible, « pourtant, tu as l’air bien! » –, tentatives de retour au travail, découragement du fait qu’on n’arrive pas à se refaire la vie d’avant, qu’il ne semble pas y avoir de traitement efficace, qu’on tente toutes sortes de traitements coûteux et qu’on ne voit pas le bout de cette affaire-là. On n’en meurt pas toutefois, mais, au fin fond de soi, y a un kékchose qui semble mourir à p’tit feu.
Il m’arrive de rencontrer des gens qui mentionnent que leur femme/conjointe, blonde/amie « fait de la fibromyalgie » (certains n’arrivent même pas à prononcer le mot). Trop souvent, à la mention s’ajoute un air (yeux à l’envers) qui laisse entendre que c’est fatigant, incommodant; trop souvent le doute est palpable quant à la validité de l’état. Par opposition, en général, quand les gens parlent de leur proche/conjoint/e qui est aux prises avec un cancer, l’attitude est différente; fatigant et incommodant aussi, mais compassion et compréhension sont palpables. C’est ce qui m’a amené à écrire quelques lignes sur ce sujet. Des fois que quelques-uns/unes se poseraient des questions sur leur attitude et leurs jugements vis-à-vis de ce qu’ils croient être imaginaire, psychologique ou psychosomatique. D’ailleurs, toutes les maladies ne seraient-elles pas psychosomatiques?
J’avoue que ce n’est quand même pas facile de sentir son impuissance à côté de quelqu’un qui souffre, d’autant plus quand on ne voit pas le bobo. Mais, une main remplie d’amour dans le dos vaut bien des pilules. Je me demande d’ailleurs pourquoi les médecins ne pratiquent pas ce petit geste qui, souvent, peut enclencher un processus de guérison.
À ceux ou celles qui souffrent de fibromyalgie et qui en ont marre de se faire dire que c’est psychosomatique : optons donc pour cette croyance, au moins ça donne de l’espoir! Si on se l’a créée, on peut se la décréer? On n’attend pas la médecine, Joe est content, plus d’énergie gaspillée à écouter ce qui ne nous sert pas bien, et on poursuit notre camino… Au fait, ne serait-il pas merveilleux si toutes les mal-a-dit étaient psychosomatiques? Ce ne serait toutefois pas très bon pour l’industrie pharmaceutique qui elle, n’a AUCUN intérêt à ce que les gens guérissent, elle serait ‘out of business’. (Lire « Les inventeurs de maladies » de Jörg Blech; visionner le YouTube « Maladies à vendre »… très intéressant!)
Écoutez l'entrevue Radio-Canada avec le Dr. Bergeron, psychiâtre, sur la fibromyalgie (avril 2014)